Soglie: i frontespizi delle edizioni bellarminiane

Qu’est ce qu’un frontispice ? Une brève série de cinq frontispices correspondant à quatre écrits importants de Roberto Bellarmino, édités ou réédites entre 1599 et 1661, suffit à nous permettre d’apporter plusieurs éléments de réponse (cette série saura certainement d’enrichir, mais pas à l’infini : les publications bellarmiennes, très engagées pour la plupart sur la scène des controverses confessionnelles, sont de petits formats de fabrication rapide qui laissent peu de place à de telles élaborations ; et nous avons par ailleurs rattaché à la série des portraits les portraits frontispiciels). On retiendra ici quatre approches possibles du frontispice, qui représenteront un parcours des cinq gravures qui figurent dans cette petite galerie.

Fig.1 - Frontespizio di Explanatio in Psalmos. Auctore Roberto Bellarmino ex societate Iesu, S.R.E. Tit. s. Maria in via presbytero cardinalj, Lugduni : sumptibus Horatii Cardon, 1618.

Les deux premiers frontispices disent l’une des deux fonctions essentielles de cette première page lettrée et ornée qui forme le seuil des imprimés les plus prestigieux de ce tournant du XVIIe siècle européen. On y trouve l’ « auteur » ou scripteur du livre – Roberto Bellarmino – la ou les autorisations dont il peut se prévaloir, celle de la Compagnie de Jésus en 1599, celle de la Compagnie et du cardinalat en 1601, et, enfin, l’ensemble des autorités qui donneront à son discours, que le lecteur est sur le point de lire, toute sa légitimité : apostoliques, philosophiques et théologiques, ecclésiastiques (mitre, tiare et auréole), la Cène eucharistique qui surplombe le frontispice de 1601 les réunissant peut-être toutes, dans cette première modernité qui verra les philosophes catholiques s’appliquer à sauver le dogme de la transsubstantiation.

La seconde fonction d’un frontispice est de faire toute sa place à ce qui deviendra l’illustration du livre, ou bien, quand ce livre n’est pas illustré, ce qui est le cas de cette Explanatio in Psalmos de 1638, à tout ce qui viendra peupler l’imagination du lecteur des Psaumes. Des images lui sont données, en courtes vignettes ici, qui feront une sorte de cadre visuel au chant de David. Comme l’écrivit naguère Louis Marin au sujet des frontispices, qu’ils soient ou non très richement ornés, ils convoquent toujours sur la surface d’une même page deux « substances sémiotiques hétérogènes », celle de l’écrit, du lisible, et celle de l’image, du visible. C’est un rapport de forces, que le frontispice s’efforce de « régler ». Et l’on pourrait même dire ici : de moraliser, puisqu’à chaque petite image vient répondre une légende qui rappelle les vertus, désormais chrétiennes, de Psaumes qui ne l’étaient pas encore.

Ajoutons une troisième approche, qui vient enrichir la précédente et que nous découvrons dans l’Arte bene morendi de 1634. Un livre se lit, de la première page (son frontispice) à la dernière. Il se consomme morceau après morceau,  à la manière d’une méditation, comme le note Louis Richeome, jésuite lui aussi, contemporain de Bellarmino, dans sa Peinture spirituelle de 1611(ouverte par un magnifique frontispice). Or le frontispice nous permet, non plus de méditer, mais de contempler, de « boire d’un seul trait », comme l’écrit encore Richeome : un seul trait nous conduit du sémillant jeune homme, à gauche, à son squelette, à droite. Tout est accompli, la bonne mort a eu lieu.

Le cinquième frontispice que nous présentons élargit encore le champ. Ce n’est pas ce qui autorise le livre ; ce n’est pas non plus les images que ce livre autorisera, et qui seront l’une des voies d’un usage contemplatif du volume. C’est le livre en scène, sur la scène sociale, ou pour le dire autrement, dans son contexte : le coups qu’il donnera, les coups qu’il recevra. Le jésuite et cardinal est une forteresse, certes surarmée, mais aussi surexposée. D’autres écrits que celui-ci, qui en est une sorte de compendium, jonchent le champ de bataille. Mais il ne faut pas ménager ses coups car, comme l’inscrit le médaillon qui, acccroché à la tour, représente le Cardinal, habenti dabitur : « il sera donné à celui qui a » (Matthieu, 25.27) et surtout, à celui qui a fait fructifier son avoir. La controverse doit faire fureur.

Pierre Antoine Fabre (École des hautes études en sciences sociales)